Théatre forum à la Fondation Domus
Journée "école-terrain" en collaboration avec les étudiants de la HES-SO:art. Nouvelliste du 14.03.2012
Près de quatre-vingts étudiants de la filière sociale de la HES-SO se sont confrontés à la réalité du terrain en s'immergeant dans la Fondation Domus.
"A un moment donné, j'ai décidé de prendre ma vie en main! "
Patrick Excoffier, 36 ans, vit aujourd'hui dans un appartement privé, tout en bénéficiant d'un suivi par Domus. Ce natif de Monthey, qui souffre d'angoisses profondes, note que sa vie a enfin pris un autre virage depuis quelques mois. "Mon parcours a été assez difficile. Si je devais tout vous raconter, j'en aurais pour des heures! Je vais essayer de résumer... J'ai suivi une formation d'aide peintre en bâtiment au centre ORIF quand j'étais adolescent. Cela s'est bien passé, mais ensuite, j'ai eu beaucoup de peine à avoir un emploi car je souffrais d'angoisses dès qu'il y avait un petit changement" , raconte d'emblée Patrick Excoffier, visiblement heureux de pouvoir partager ses expériences de vie.
Pendant ses quelques mois au chômage, Patrick Excoffier voit ses problèmes de santé dégénérer. "J'avais aussi des problèmes de poids, car, comme je ne me sentais pas bien, je mangeais énormément. J'ai d'ailleurs dû me faire mettre un by-pass ensuite..." Patrick Excoffier est hospitalisé plusieurs fois à l'Institut psychiatrique de Malévoz à Monthey. "A ma dernière hospitalisation, j'ai eu comme un déclic. Je me suis dit qu'il fallait que je m'occupe de moi, et j'ai voulu essayer d'aller à la Miolaine; c'était l'ancien nom de Domus" . Petit à petit, le trentenaire prend confiance en lui et trouve un brin d'autonomie. "Je voulais avoir mon appartement privé, j'ai même retrouvé mon permis de conduire - que j'avais perdu à cause de ma maladie. Il y avait eu un dépôt sécuritaire pendant huit ans car la conduite n'était pas compatible avec mon état de santé", explique-t-il.
Aujourd'hui, Patrick Excoffier a vu son voeu exaucé. Il vit dans un petit appartement à Ardon, seul, mais il est toujours suivi à domicile par sa référente. " Je me sens très fort, car j'ai retrouvé une certaine liberté. Je peux inviter des amis chez moi, me déplacer, etc. Je vais vraiment mieux. J'ai retrouvé une vie sociale. C'est une nouvelle vie qui a commencé."
Pour lui, la journée "école-terrain" aura été l'occasion de montrer aux étudiants son ressenti de malade. "Je voulais aussi donner une autre image de la prise en charge psychiatrique, et faire connaître aux gens la vie de Domus. Je suis malade de l'âme. Cela ne se voit pas à l'extérieur. Les gens se font donc parfois de fausses idées sur les personnes comme moi. J'aimerais tellement qu'ils comprennent qu'il ne faut pas avoir peur des maladies de l'âme. C'est le seul message que j'ai envie de faire passer." CSA
"C'était intéressant de venir voir la réalité du terrain. J'ai beaucoup aimé le théâtre forum participatif. C'était intéressant de voir le point de vue du résident et le public devait être actif" Géraldine Willommet , étudiante en éducation de deuxième année à la HES-SO, est ravie d'avoir participé à la journée "école-terrain".
Elle est l'un des 76 étudiants (tes) à avoir participé volontairement à cette aventure. "Pouvoir inverser les points de vue était une démarche originale et qui m'a beaucoup apporté. On a pu lier ce qu'on apprend aux cours à la réalité. Une de mes collègues a été sur scène pour interpréter la résidente. C'était assez étonnant de la voir mettre en pratique ce qu'on a appris sur les bancs d'école. Je ne m'attendais pas du tout à cela. C'était franchement très enrichissant."
"C'est un domaine qui ne me fait pas peur du tout"
Géraldine Willommet, domiciliée à Charrat, était également intéressée à découvrir Domus, ce lieu accueillant des personnes souffrant de maladies psychiques. " C'est un domaine qui ne me fait pas peur du tout, contrairement au handicap physique qui me poserait bien plus de problèmes. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais le handicap physique me met mal à l'aise. Peut-être parce que cela me fait prendre conscience que cela pourrait m'arriver demain. Je pourrais avoir un accident et me retrouver dans cette situation. Côtoyer des personnes avec un handicap physique me fait un peu peur, je l'avoue."
Stages en vue
Une fois sa formation terminée, l'étudiante envisage donc plutôt de travailler avec des personnes atteintes de maladies psychiques ou avec des enfants. "Ce sont clairement mes deux domaines de prédilection."
Après des stages au Resto du coeur, puis à la Cité Printemps à Sion auprès de jeunes en difficultés - "un stage qui m'a d'ailleurs permis de faire tomber de nombreux clichés" , Géraldine Willommet envisage de faire d'autres stages dans des structures pour les enfants ou dans des institutions comme Domus ou Emera. "Les faire pendant la formation est un atout. On peut se rendre compte des domaines dans lesquels on a le plus de feeling. Le choix se fait sur le terrain."
Une manière douce et efficace de permettre aux étudiants de remettre les pieds sur terre. CSA
Pour briser les clichés sur les maladies mentales
TEXTES CHRISTINE SAVIOZ PHOTOS ANDREE-NOELLE POT
"Et là, qu'en dites-vous? L'attitude des éducateurs est-elle correcte?" , lance Fabien Moulin, joker d'un théâtre forum. "Noooon!" , hurlent la centaine de spectateurs, presque tous des étudiants à la HES-SO. Dans la salle Garance de la Fondation Domus à Ardon - une structure d'accueil pour les personnes en difficultés psychiques, l'ambiance est décontractée et participative ce jeudi-là.
Près de quatre-vingts étudiants sont présents, ainsi que plusieurs résidents de la Fondation Domus et quelques enseignants. Une vive mobilisation donc pour cette journée appelée "école-terrain". "L'idée est de confronter ces étudiants en social à ce que l'on vit dans une structure pour les personnes souffrant de maladies psychiques. C'est l'occasion pour eux d'approcher un domaine qui peut faire peur au premier abord" , souligne Philippe Besse, directeur de Domus.
Dans la peau de résidents
Lors de cette journée, les étudiants ont suivi deux scènes de théâtre forum et diverses conférences sur l'empathie, le thème du jour. Le théâtre forum a ainsi permis aux participants de se mettre, l'espace de quelques minutes, dans la peau d'un résident et de pouvoir ressentir les émotions inhérentes à la situation d'un patient. Pour l'une des deux parties théâtrales, trois comédiens du théâtre forum ont joué une scène dans une chambre d'une institution identique à Domus. Deux des personnages, interprétant les rôles d'éducateurs, tentaient de persuader une résidente d'éteindre la musique de son iPod, vu l'heure tardive...
Les trois comédiens ont joué la scène une première fois, puis l'ont rejouée plusieurs fois avec des modifications proposées, et parfois jouées, par le public. L'un des anciens pensionnaires de Domus a ainsi voulu interpréter le rôle du résident sur scène. Une façon de montrer qu'il est une personne à part entière, et non pas seulement un homme malade. "C'est important que les étudiants prennent conscience que le résident ne se résume pas à sa maladie. C'est une personne qui a souvent eu une vie sociale avant, qui était marié, qui avait un travail... Impossible donc de résumer le patient à sa maladie qui ne constitue que 5 %, voire 10 % de sa vie" , note Philippe Besse.
L'occasion également pour les étudiants de mieux comprendre les souffrances vécues par les résidents. "Les personnes qui viennent dans nos structures ont souvent dû vivre des pertes et faire des deuils; elles sont contraintes et forcées par leur maladie de vivre là. Il y a donc une grande souffrance que l'éducateur doit prendre en compte" , souligne Philippe Besse.
Educateur, pas un expert
Une deuxième scène du théâtre forum a permis de montrer aux étudiants que l'éducateur n'est pas doté du savoir total. "Il n'est expert qu'à 5%. Le savoir n'est qu'une petite partie de la relation qu'il instaurera avec le résident. Le théâtre permet de repositionner l'éducateur", ajoute le directeur de Domus.
Pour Philippe Besse, cette journée aura été un bon moyen de briser les préjugés. "J'ai remarqué que, lorsque des étudiants viennent en stage à Domus, ils arrivent avec des recettes toutes faites. Or, ce n'est pas possible d'aider comme cela, car nous travaillons avec des êtres humains." Le directeur de Domus en est persuadé, l'humain reste au centre de tout acte. "Dans le mécanisme d'aide, il faut partir d'un sentiment personnel qui mène à l'action. Le travailleur social doit ressentir quelque chose qui soit le moteur de son action" , note encore Philippe Besse.
L'expérience de la semaine dernière s'est révélée un succès. La preuve, 78 étudiants sur 76 se sont déclarés partants, alors que la journée n'était pas obligatoire. "Cela montre un réel intérêt pour le terrain et pour les troubles psychiques souvent méconnus. Les étudiants choisissent plus facilement de travailler avec les enfants."
Un succès
Quant aux résidents, après une première phase de peur de l'inconnu, ils ont joué le jeu. Et se sont partagés entre les différentes tablées d'étudiants présents. "Ils avaient presque tous envie de dire des choses, de partager leurs vécu", souligne Philippe Besse.
La journée "école-terrain" aura eu le mérite d'ouvrir cette structure destinée aux personnes à problèmes psychiques, comme celle d'ouvrir les esprits. Le chemin est long, cependant. "Nous travaillons à la déstigmatisation des personnes qui souffrent de maladies mentales. C'est une lutte permanente pour que les gens cessent de mettre des étiquettes à ces patients" , a conclu le Dr Eric Bonvin, directeur des Institutions psychiatriques du Valais romand, également présent lors de cette journée.
"Les gens ont souvent peur des maladies de l'âme"
"J'ai aimé me mettre dans la peau d'un résident"
DOMUS DE L'INTERIEUR
La Fondation Domus se partage en deux sites, l'un à Ardon et l'autre à La Tzoumaz. Son but est d'accueillir les personnes en proie à des difficultés psychiques pour les aider à retrouver une certaine autonomie. La maison à Ardon a été inaugurée en avril 2010.
Actuellement, Domus compte cinquante-six résidents en foyer, et quarante places en centres de jour et atelier. Sans oublier les suivis socio-éducatifs des personnes qui peuvent loger en appartement privé.
L'accueil se fait en permanence dans les structures.
"C'est la raison pour laquelle nous sommes aussi un lieu de formation pour les étudiants en social. Une dizaine d'étudiants ont déjà fait des stages dans nos locaux" , explique Philippe Besse, le directeur de Domus.
L'objectif est également d'ouvrir la structure.
Ainsi, depuis janvier dernier, des thés dansants sont organisés dans la salle Garance, un lundi sur deux.
Renseignements sur le site: www.fondation-domus.ch
COMMENTAIRE CHRISTINE SAVIOZ
L'essentiel est hors des murs
Travailler avec des êtres humains ne s'apprend pas uniquement dans les livres.
La théorie c'est bien, la pratique c'est mieux. La HES-SO semble l'avoir compris. Un vrai bonus pour les étudiants, futurs travailleurs sociaux, et pour les patients de demain. Chacun y gagnera au bout du compte. C'est du "win-win" comme le disent souvent les économistes.
Confronter les étudiants à la réalité est aussi une manière de montrer que la tâche sociale n'est pas une affaire administrative. Même si la paperasse s'accumule autour des personnes qui ont besoin d'aide, l'humain doit rester au centre, envers et contre tout. L'essentiel est hors des murs. N'en déplaise aux théoriciens...
Actions, réactions
Grâce au joker Fabien Moulin (au fond de la photo, au centre), les étudiants de la HES-SO ont participé activement au théâtre forum la semaine dernière dans la salle de la Fondation Domus.
Deux scènes, plus vraies que nature, ont permis aux étudiants de se plonger dans la réalité du terrain.
A chaque table, se trouvait un résident ou ancien résident des lieux. Une manière pour les futurs travailleurs sociaux et patients de partager leur ressenti.